La conduite

Publié le par Sam


Peut-être le premier élément que j'ai du mal à supporter en Chine. Avant la foule. Avant les bus bondés. Avant le bruit en ville. Avant le bruit lorsqu'ils reniflent, se râclent la gorge et crachent. On se fait à beaucoup de manières qui nous sont étrangères, on s'adapte, on les accepte. Mais la conduite... Ce n'est pas juste désagréable. C'est énervant et dangereux ! Ça tape vraiment sur les nerfs. J'ai toujours trouvé que la vie urbaine rendait ses habitants plus énervés et plus aggressifs, surtout lorsqu'il s'agit des insultes sur la route. Mais à Beijing, c'est d'une autre ampleur...

Je donne mon ressenti vis-à-vis de leur conduite et de la route, de mon point de vue de piéton, de passager de taxi et de cycliste. Avec des anecdotes plus ou moins drôles, mais a posteriori surtout plus !


En tant que piéton

Avant de m'énerver, leur conduite m'a d'abord fait peur, ensuite elle m'a fait rire. J'étais piéton. Je faisais attention avant de traverser. Un léger temps d'adaptation, et tout allait bien.

Piétons à un carrefour de Pékin
Les premiers jours en tant que piéton à Shanghai étaient tout de même difficiles... Le feu pour les voitures est rouge. Le feu piétons est vert. Je regarde à ma gauche. Une voiture arrive au loin. Je m'engage. Je l'entends klaxonner. Elle se rapproche. Elle accélère. Je coure. Elle passe derrière moi en empiétant largement sur la bande cyclable ; et tourne à droite...

Quelques carrefours plus tard, à nouveau feu vert pour nous, feu rouge pour les voitures. Quelques piétons entament leur traversée. Je les suis à deux mètres d'intervalle. Une voiture klaxonne. On se regarde dans les yeux. C'est la loi du plus fort. Elle vise entre les Chinois de devant et moi. Je dois m'arrêter pour la laisser passer. Deux autres voitures suivent. Je finis de traverser la route en courant, au feu piétons rouge.

Qu'on passe ou pas, ils klaxonnent. Souvent. Trop souvent. Tout le temps. À croire qu'ils se fichent totalement, complètement et absolument de gêner les autres. Ils signalent juste "moi je passe, barrez-vous !". Surtout les taxis. Néanmoins, on sent que les autorités commencent à lutter contre le phénomène : des panneaux en ville indiquant l'interdiction de klaxonner. La bonne blague ! À tel point qu'on ne se retourne presque plus pour un bruit de klaxon.

Les premiers jours, tout ça fait peur. Les jours suivants, on comprend que si on s'engage la voiture klaxonnera toujours, essaiera de passer à gauche ou à droite, mais s'arrêtera. On apprend à jauger la situation, et on passe sans embûches. Le tout est d'être prudent et attentif.


Dans un taxi ou un bus

Se faire conduire en Chine (par un professionnel de la route en tout cas) est une expérience d'un autre niveau. C'est comme une montagne russe en parc d'attractions. Le chauffeur gère, et tu as juste peur. Le taxi n'est déjà pas très cher, mais il le paraît encore moins si on considère payer pour un tour de taxi et un tour de manège à sensations.

Premier jour en Chine. Nous sortons de l'aéroport au moins une heure après l'heure prévue. Premier trajet en minibus - de l'école. Plus d'une heure de retard, le chauffeur est pressé. Il nous le fait vite savoir. Un minibus sur l'autouroute, qui klaxonne sans interruption. Un minibus qui dicte sa loi face aux tacots comme face aux berlines. Un minibus qui double les Audi A4 par la droite. Un minibus qui slalome entre Mercedes et BMW. Un minibus qui utilise quatrième voie entre deux camions, alors qu'il n'y en a que trois. La conduite est sportive. Je me rassure par la phrase magique : "Ils sont fous ces Chinois". Et j'apprécie le manège, sans être vraiment à l'aise.

Après quelques jours en Chine, après s'être fait au décalage horaire, après avoir commencé à s'immerger dans la culture chinoise, mon premier taxi. De nuit. Cinq Français à l'intérieur. Près de quarante kilomètres jusqu'au campus (de Shanghai à Shanghai). Les routes ne sont pas très fréquentées. On croise quelques voitures aux feux des grands axes. Puis, longue file pour tourner à gauche. Le feu est rouge. Le chauffeur accélère et double tout le monde par la droite. Il s'arrête au feu. Il se prépare à démarrer. Feu orange. Il démarre en trombe ; double le premier de la file ; qui ne voulait pas nous laisser passer, mais qui était moins vif. Un virage que les suspensions sentent passer !

Mieux, le bus pour aller à la Muraille de Jinshanling. Il s'engage sur une route de montagne. Un véhicule lent empêche d'aller à la bonne vitesse. Ouf ! une ligne droite. La camion derrière le véhicule lent s'engage. Je trouve que par rapport au virage au loin, il est un peu limite. Le bus juste devant nous est dans sa roue. Déjà bien moins prudent. On ne peut plus passer, le virage arrive. Ah, et bien si ! Il suffisait de doubler... dans le virage ! Des coups de klaxon de partout pour que le véhicule lent tienne bien sa droite (et plus si affinités), et pour que les éventuels gens en face s'arrêtent. Heureusement, il n'y avait personne en face. Encore une fois : "Ils sont fous ces Chinois !"

Ce qui me rassure dans ces cas là, c'est de me dire : "Ne t'en fais pas Sam, ils savent ce qu'ils font ! Il vaut mieux en rire". Alors on en accepte notre adrénaline, on apprécie les sensations dignes du Parc Asterix, et on en rigole beaucoup en se moquant des manières des chauffeurs.


Conduire son vélo

Là, on atteint un tout autre niveau de stress, de dangerosité, de peur, d'angoisse, de folie. On se permet d'insulter haut et fort (et en français) les conducteurs. À Beijing, c'est de la folie ! Mais Beijing est tellement grand... Et il m'est impossible de faire le trajet du bureau à l'école de chinois sans vélo (question d'horaires). Alors je conduis mon vélo, ou au moins j'apprends à conduire un vélo ici.

Les vélos en ChineDans le district de Haidian où je travaille, il y a des milliers de vélos partout. Ils roulent sur les pistes cyclables, sur la route ou sur les trottoirs. Tout dépend de là où les piétons et bus prennent la place. Les bandes cyclables sont bien présentes, larges et séparées des voies pour voitures par une ligne continue ou un terre-plein. Mais elles sont beaucoup fréquentées.

Première anecdote, devant moi un pousse-pousse tient à peine sa droite sur la bande cyclable. Un autre pousse-pousse derrière trouve que le premier ne va pas assez vite. Il le double. Il emprunte une partie de la voie voitures. Un taxi arrive, et certainement au-dessus de la vitesse maximale autorisée. Il veut doubler le convoi. Une autre voiture vient en face. Pas de problème, le taxi klaxonne et double quand même ; obligeant la voiture d'en face à freiner, se rabattre dans la piste cyclable de son côté, et laisser passer le taxi. Et tout le monde continue sa route...

Un autre soir, je vais en cours de chinois. Je tiens ma droite sur ma bande cyclable. Un vélo tourne pour arriver dans la même bande cyclable que moi, à contresens. Bon, ce n'est pas le premier vélo à contresens. Notre bande cyclable est séparée par un terre-plein. Elle va tenir sa droite, moi aussi, et c'est tout. C'était sans compter qu'elle ne veut pas tenir sa droite. Je la vois à 50m devant. C'est alors qu'elle commence à dériver vers la droite (sa gauche). Elle se rapproche de la droite. Elle se trouve en face de moi. On se fixe, pensant que l'autre va bien comprendre qu'il n'est pas là où il doit être. On se rapproche. Et... on doit freiner. Même s'arrêter. Pour ne pas se rentrer dedans. Je n'ai pas compris ce qui s'est passé dans son esprit. Tout comme elle n'a pas dû comprendre pourquoi je m'obstinais à tenir ma droite.

Les jours suivants, j'ai compris que les pistes cyclables s'utilisaient à double sens. Bah oui, quand on veut tourner à gauche c'est pratique d'être déjà à gauche. Et quand on est à contresens, il est peut-être moins dangereux de tenir sa gauche, de manière à ne pas être pris en sandwich entre un pousse-pousse et un bus. Bon, bah si c'est comme ça à Beijing...

Autre soir, autre histoire. Je suis à nouveau sur une piste cyclable, sans terre-plein séparant de la voie pour voitures. Plusieurs voitures sont garées sur la piste cyclable, une camionnette est juste derrière. Un taxi est en train de me doubler. Je passe au niveau de la camionnette. Et là, un scooter sors de sa cachette. Il a bien compris que c'était dangereux de s'engager sur la route lorsqu'on ne voyait rien. Il s'est arrêté pour bien regarder. Mais, il est en plein milieu de la bande cyclable, la bloquant complètement. Logique ! Je serais bien passé sur le côté s'il n'y avait pas eu ce taxi qui me doublait. Je freine au dernier moment. Et c'est très lentement que je lui rentre dedans. Personne n'a mal, pas même le vélo. Je lui crie dessus en français, l'air méchant. Il s'excuse plusieurs fois, baisse les yeux, et repart.

On se demande comment ils réfléchissent des fois. Sur la route, c'est le bordel ! Du moins, de mes yeux d'Européens. Alors je reste sur mes trottoirs ou bandes cyclables. S'il y a trop de monde, j'essaie d'aller à la même vitesse que l'ensemble. Et tout va bien ! :)


Quelques réflexes Chinois
Des taxis, encore des taxis
Je l'ai déjà dit plusieurs fois, les Chinois ont des réactions bizarres sur la route. Je raconte un peu ce que je trouve être assez général.

Les Chinois ne pensent pas beaucoup à la sécurité. Ils ont des réactions plus spontanées que réfléchies. Et aussi, ils ne mettent jamais leurs ceintures. À tel point qu'une fois dans un taxi, j'ai commencé à la mettre. Il m'a fait signe que non, fallait pas !

La voiture qui veut tourner à droite tourne à droite. Que le feu soit rouge, qu'il y ait des piétons ou des vélos qui aillent en face, elle tourne à droite. S'il n'y a pas de place pour passer, elle s'engage lentement dans la masse, telle une perceuse. S'il y a un quelconque espace entre deux piétons, elle accélère pour en profiter. Impossible de traverser une route en écrivant un texto. Mais il suffit de bien observer sa gauche, de voir la réaction des taxis et autres voitures, et c'est tout bon.

L'utilisation du klaxon est très fréquente. Trop fréquente. On ne se retourne même plus lorsqu'on entend un klaxon de vélo. La plupart des cyclistes ne klaxonnent pas lorsqu'ils sont bloqués, mais tout le long de leur trajet. Peut-être pour dire : "Maintenant que vous m'avez entendu, vous avez pas intérêt à me faire arrêter". Les voitures n'arrêtent pas non plus. Elles se répondent. Ça peut être adressé aux piétons pour qu'ils dégagent, à la voiture d'à côté pour qu'elle se range qu'on puisse la doubler ou à la voiture d'en face pour qu'elle laisse passer...

Souvent, quand on essaie de comprendre le système de priorités en Chine, ça ressemble à la loi du plus fort. On peut remarquer qu'à ce petit jeu, les taxis sont les meilleurs. Suivent les bus, les pousse-pousses et les autres voitures. Peut-être le fruit de notre imagination. Mais ça colle ! D'autant qu'on a l'impression que la logique respectée c'est : le taxi avec un client est prioritaire sur le taxi vide, lui-même prioritaire sur les autres.

Les vélos ne savent pas rouler droit. Il faut faire attention à ça. Ils aiment bien faire des zigzags sans aucune raison. Et pour ne rien arranger, ils ne regardent jamais derrière eux. À croire qu'ils considèrent que ce n'est pas leur problème, c'est à ceux de derrière de ne pas leur rentrer dedans. C'est sûr qu'avec une telle vision, il vaut mieux klaxonner tout le temps pour signaler notre présence aux autres usagers de la route devant. Il faut faire attention à ce qui se passe devant soi, prendre de la marge quand on double, et tout va bien !

À contresens sur une piste cyclable, le vélo tient sa gauche. Il empêche donc les gens dans le bon sens de tenir leur droite. C'est normal ici, il suffit de le savoir, de se dégager pour laisser passer, tout en restant dans sa bande cyclable. Sachant qu'ils ne roulent à contresens que dans les bandes cyclables suffisamment larges.

Les cyclistes ne s'arrêtent pas au feu rouge. Même lorsqu'il y a un feu spécial vélos. Ils ne s'arrêtent que s'ils doivent laisser passer quelqu'un. Mais ça ne m'empêche pas de m'arrêter, Européen que je suis.


Point de vue de Chinois

Je voulais savoir ce qu'en pensaient les Chinois. Peut-être sont-ils d'accord avec moi, tout ça n'est qu'un désordre dû à la trop grande densité de Beijing, et ils pensent autant que moi que c'est dangereux. Ou trouvent-ils ça normal de passer quand on a la place, quitte à couper la trajectoire de quelqu'un ?! Et la priorité à celui qui klaxonne le plus fort, qu'en pensent-ils aussi ? Savent-ils comment ça marche ?

Sans oser affirmer connaitre le point de vue des Chinois, loin de là, je rapporte le point de vue de certains de mes collègues.

Un midi, je lance le sujet : "Il y a quelque chose de fou en Chine, des attitudes que je ne comprends pas : votre manière de conduire ! Vous en pensez quoi vous de la conduite en Chine ?!" Devant leurs regards perplexes et amusés, je leur donne mon point de vue. J'exlique comment il est difficile de traverser la route, mais qu'on si fait. Je raconte quelques anecdotes qui me sont arrivées en vélo. Ils rigolent bien à l'écoute de mes (més)aventures. Trouvent-ils ma réaction et ma suprise amusantes ? Trouvent-ils drôle mon acquisition d'expérience d'un problème chinois représentatif et connu ? Difficile décrypter leur réaction...

Je demande à nouveau : "Que pensez-vous de la conduite en Chine ? Vous trouvez ça dangereux ou pas ?" Huxiang m'explique qu'à Beijing, il y a trop de monde, pas assez de place. Si je ressens une quelconque gêne dans la conduite en Chine, c'est pour cela. Les gens étant trop nombreux, la route devient  vite un espace pas très ordonné. Ça j'avais compris. Je redemande : "Mais tu trouves ça dangereux ou pas ?".  Jiwei est d'avis que c'est super dangereux et qu'il ne prendrait pas de vélo à Beijing. Huxiang s'accorde à dire que c'est un peu le désordre, mais qu'il suffit de faire attention et il n'y a que peu de risques. Yangang quant à lui pense que beaucoup de Chinois n'ont aucune notion de sécurité en tête. C'est pourquoi c'est un tel bordel.

Ils m'apprennent que les conducteurs devraient être de plus en plus calmes. Au contraire, ils sont de plus en plus stressés. Et c'est un problème pour les piétons. C'est dangereux (plus ou moins suivant l'heure et le carrefour). Ça demande de se laisser faire face aux voitures et taxis trop pressés et non respectueux. Ça empire la notion d'individualisme : "no one cares about the others!"

Donc bon, la conduite ici demande clairement d'être plus réveillé, d'être plus aux aguets, de regarder partout, de considérer que tout peut arriver. C'est bien plus fatigant que chez nous, c'est plus dangereux et ça énerve. Il est super important d'avoir tous ses yeux ouverts (et même plus), d'anticiper, et de toujours accepter leurs réactions sans s'énerver. Pas facile... Parfois ça fait du bien de leur crier dessus !

Mais la confiance de la ville arrive ! Et heureusement pour moi, je fais toujours les mêmes trajets, je ne tourne qu'une fois à droite, et je roule sur des bandes cyclables larges et peu dangereuses.

Publié dans Culture

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L
Ca me rappelle méchamment le trafic à Buenos Aires...Ils sont sûrement un peu moins nombreux mais les règles de base sont les mêmes : je suis plus gros que toi, c'est moi qui passe!! (sauf que moi j'aurais jamais osé monter sur un vélo, ça tu peux me croire!...) bisous!
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P
Fais attention à toi ! On veut te récupérer en entier <br /> Bisous P'pa
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